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Couverture À PÉTRARQUE de Jonas MEKAS

À PÉTRARQUE

Jonas MEKAS

Samarcande (Recherche de disponbilité en cours...)
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Couverture À PÉTRARQUE de Jonas MEKAS

Lorsqu'à la Noël 1969, Jonas Mekas (Semeniskiai, près de Birzai, Lituanie - 1922), projette pour la première fois les "Diaries, Notes & Sketches" (journaux, notes et esquisses) de Walden à l'Elgin Theatre, contrairement à ce que véhicule une approximation journalistique tenace, il n'invente pas la forme du " journal filmé ". Par contre, par son élan, son ampleur (plus de trois heures de film), sa construction, sa liberté formelle et son ton totalement singulier (tout autant jubilatoire que mélancolique), il amène cette forme cinématographique à un nouveau niveau d'intensité.

Débarqués le 29 octobre 1949 sur les berges de l'Hudson River, en provenance descamps de "Personnes déplacées" de l'immédiat après-guerre en Allemagne, il n'aura fallu que quelques semaines pour que les frères Adolfas et Jonas Mekas n'achètent une caméra Bolex 16mm et ne se mettent - quand leurs éreintants petits boulots manuels à visée de subsistance leur en laissaient la force et le temps - à filmer la communauté lituanienne de New-York et les balbutiements de leur nouvelle vie. Il faudra cependant plus de vingt années (certes plutôt bien remplies : création d'une revue de cinéma, d'une coopérative de distribution de films et d'une cinémathèque !) à l'aîné, Jonas, pour qu'un double mouvement, lent et long, d'oubli puis de redécouverte, ne lui permette de monter et de montrer ces images (dans les deux volets suivants de son journal filmé : "Reminiscences of a Journey to Lithuania" en 1972 et "Lost, Lost, Lost" en 1976).

Dans le cas de "Walden" (tourné de 1963 à 1968 ; monté de 1967 à 1969) le temps desédimentation des images est - nettement - plus court et la plupart des séquences étant "montées dans la caméra" (laissant soit au temps - et à la pellicule - le loisir de défiler ou, au contraire, faisant le choix d'en compacter la durée par l'enfilement rapide d'une série de 'micro-flashs' filmés image par image) il s'agit surtout d'assembler ces modules dans une grande structure où la poésie (les correspondances et "rimes" souterraines reliant entre elles des séquences éloignées) prend clairement le pas sur la tentation desuivre une chronologie ou un fil didactique ou narratif trop "plan-plans". Mu par un pacte naturel, rare et inaliénable, reliant chez Mekas la vie, la poésie et le cinéma ("I live therefore I make films / I make films therefore I live" - Je vis donc je fais des films / Je fais des films donc je vis), celui-ci parvient à y montrer, dans un grand élan sensualiste, des grains de poussière tombant sur la ville ou un pied nu foulant des brins d'herbe comme des événements fondamentaux de l'histoire du vingtième siècle (et, presque inversement oserait-on avancer, de filmer ses amis de la 'jet-set' artistique new-yorkaise - Andy Warhol, Allen Ginsberg, John Lennon, Yoko Ono... - quasiment comme de simples quidams).

Les rapports entre le son et l'image sont aussi très libres. Les décalages et non-correspondances dominent, sans compter les faux synchronismes et les "trompe l'oreille". Par exemple, au tout début de la première bobine : images de branches d'arbres au vent, carton "But the wind was full of spring" et... "faux sons" de vent... se révélant être des sons de voitures et de métros enregistrés dans un tout autre contexte que la quiétude relative de Central Park. Ou, à la fin de la seconde bobine, Velvet Underground à l'image / Velvet Underground au son... Mais... Images de leur fameuse première apparition publique à l'image vs. un réarrangement de leur musique en bande-son (une sorte de boucle lancinante et hypnotique, non identifiée, peut-être enregistrée lors d'une répétition - ?? - en tout cas, pas le rendu fidèle de leur incursion au banquet de la "New York Society for Clinical Psychiatry" à la mi-janvier 1966)...

Partant de ce décalage entre l'image et le son, il est intéressant d'observer, avec le projet "À Pétrarque", ce qui se passe lorsque, répondant à une invitation de l'Atelier de création radiophonique de France Culture, le cinéaste s'arrête un moment de proposer des images en mouvement pour se focaliser quasi exclusivement sur le son (ce n'est que dans un second temps, pour l'édition du livre-CD, qu'une sélection d'une série d'images fixes - photos, dessins, petits mots, coupures de presse... - viendra s'y greffer). Ce qui frappe d'abord, c'est la cohérence dans la démarche entre cette bande-son sans images et les journaux filmés de Mekas. "Á Pétrarque" enchaîne, en septante minutes, cinquante-et-une vignettes sonores courtes (entre vingt secondes et deux-minutes trente pour les quelques plus longues) et disparates, enregistrées entre 1966 et 2001. Le montage est radical (un montage "cut", fait de coupures tranchantes). Aucun artifice ("fade in" / "fade out" ou "fondus") ni retraitement ultérieur ne semble avoir cherché à uniformiser le son des différents extraits et à minimiser les transitions souvent brutales qu'il faut enjamber pour sauter d'une pièce à l'autre de ce puzzle intime. En accord avec son sous-titre ("À Pétrarque - qui traversa les collines de Provence à pied"), la thématique des voyages passés de Jonas Mekas est très présente dans les capsules sonores sélectionnées qui nous emmènent de New-York à Kyoto, de Londres à Paris, de Cassis à Saint-Michel de Frigolet. Mais, dans une diversité de matières sonores qui nous fait sans cesse passer, sans crier gare, de la musique (de Mekas lui-même, de musiciens de rue...) à la déclamation de poésie, du 'field recording' (enregistrement de terrain) au souvenir intimiste domestique... Car, comme dans "Walden" p.ex., le vieux sage malicieux arrive particulièrement à entrelacer le registre le plus intime et personnel (les premiers babils de sa fille Oona ou ses propres hululements sous la " torture " du chatouillement) à celui d'événements d'une portée nettement plus collective (en images dans le livre, le désespoir des civils palestiniens bombardés par l'armée israélienne ; en son, en avant-dernière plage du disque, l'enregistrement pour le moins glaçant de la crise d'hystérie d'une femme assistant depuis le toit du 491 Broadway à l'effondrement des tours du WTC, le 11 septembre 2001).

(Philippe Delvosalle - mars 2010)

  • Ref. : HE1275
  • EDITIONS DIS VOIR, prod. 2009, enr. 1966-2000.
  • Disponible en disques compacts.
Samarcande (Recherche de disponbilité en cours...)

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