LOVELESS (EDITION REMASTERISÉE + CD BONUS)

Après que le groupe ait tourné en 1989, il s'enferme de nouveau en studio pendant un an et demi, en autarcie, épuisant... quinze ingénieurs du son successifs et le capital de son label qui ne se remettra jamais de cet investissement. Le groupe poste par intermittence quelques titres sous la forme de singles proprement incroyables. C'est d'abord en avril 1990 que sort le EP Glider. Le batteur Colm O'Ciosoig étant blessé, Kevin Shields commence à travailler sur des patterns de batterie qu'il met en boucle, se rapprochant de fait de la techno alors en pleine explosion sur les pistes de danse. Soon possède un groove à toute épreuve répété pendant sept minutes tandis qu'alternent la voix traînante de Shields, ses riffs de guitares noisy à base de vibrato et le loop d'une ritournelle de flûte. Le maxi Glider entre dans les charts indie anglais et Alan McGee en profite pour rééditer pour la première fois les deux EP vinyles qu'il a produits pour Creation.

Le buzz autour de My Bloody Valentine s'étend. Pris dans la hype dance music, Soon est remixé par Andrew Weatherall. On retiendra surtout la version longue d'un autre tire, l'instrumental Glider, étiré à l'extrême durant plus de dix minutes, jusqu'à devenir un manifeste pour les musiques expérimentales contemporaines (introuvable, ce titre est réédité sur la double compilation EP's 1988-1991). My Bloody Valentine réapparaît alors avec Tremolo EP (1991), évidemment là où on ne l'attendait pas. Étonnamment apaisé, portant quelques attributs psychédéliques (dont des percussions indiennes), ce maxi présente quatre titres reliés entre eux par des riffs de guitares typiques. Les gimmicks de flûtes expérimentés sur Soon sont à nouveau utilisés sur To Here Knows When et Swallow, qui sont de véritables tubes pop portés par la voix érotique de Bilinda Butcher et maltraités par le jeu de guitare glide obsessif de Kevin Shields. Bien que Tremolo EP divise la critique, une partie d'entre elle est dithyrambique et, en novembre 1991, les fans portent directement le nouvel album Loveless sur un piédestal. Celui-ci, contrairement à Isn't Anything, est homogène et compact. Les guitares massives de Kevin Shields alternent avec les fameux samples non identifiés du groupe sur la plupart des chansons scarifiées du quatuor (Ony Shallow, When You Sleep, I Only Said). Si la voix de Butcher reste solaire, bien que diaphane, celle de Shields est écrasée derrière les murs de guitare. À écouter Touched de Colm O'Ciosoig, on se dit que le temps trop long passé en studio à jouer des riffs en boucle et à fumer une quantité astronomique de marijuana a sans doute porté atteinte à la santé mentale du groupe. Tout en lui rapportant le statut d'icône du rock, l'historique tournée marathon qui suit la sortie de l'album aura raison de son équilibre... à jamais. Car tels les premiers chrétiens qui attendaient le retour imminent du Christ (et qui l'attendent toujours), les mélomanes adeptes de My Bloody Valentine espèrent depuis vingt ans voir poindre le successeur de Loveless, souvent annoncé mais jamais réalisé. (Gérôme Guibert dans Magic !)