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Various Artists

Deux anthologies dans la série Ambient du label Virgin, lancée au début des années 1990 dans le but de tracer un panorama des musiques électroniques et étiquetable « ambient ». Ces deux volumes s’écartent nettement du cadre habituel de ces […]

La série Ambient a été lancée en 1993 avec A Brief History of Ambient, dont les trois premiers volumes ont été compilés par le critique et musicien Simon Hopkins, qui en rédige également les notes de pochettes. Il y développe une vision de la musique électronique de ce début des années 1990 comme héritière de celle des années 1970. Malgré ses allusions à John Cage (les volumes II et III sont sous-titrés respectivement Imaginary Landscapes et The Music of Changes), l’accent est plutôt mis sur une école minimaliste (étiquetée comme « La Nouvelle Sérénité » par le label Sub Rosa, dans sa série Myths) proche de Brian Eno, ou de proches collaborateurs de ce dernier, comme Robert Fripp ou Michael Brooks, mais aussi sur ce qu’on appelait auparavant la musique « planante », dérivée du krautrock ou des musiques psychédéliques anglaises d’après Pink Floyd. Brian Eno, sans doute eu égard à son statut d’inventeur du terme ambient music, qu’il avait théorisé et illustré avec son album Ambient 1: Music for Airports, est abondamment représenté (trois morceaux sur le premier, trois sur le deuxième et cinq sur le suivant, et bien plus encore en tant que producteur). Outre les minimalistes Gavin Bryars, Jon Hassel et Harold Budd, on retrouve une majorité d’artistes du label, qui capitalisent ainsi sur la nouvelle vague ambient en y raccrochant leurs propres productions. Ce qui explique la présence de gens aussi divers que David Sylvian, Irmin Schmidt, Tangerine Dream, mais aussi, étrangement, Hawkwind ou le Penguin Cafe Orchestra, ainsi que des musiciens traditionnels arrivés là via le label Real World, comme Nusrat Fateh Ali Khan ou les Guo Brothers, duo chinois sans grand rapport avec une quelconque ambient. Les productions contemporaines sont en revanche en minorité, et on sent que le label a du mal à les dénicher (ou à les attirer dans son écurie). On doit donc se contenter de William Orbit ou the Grid, et l’on ne trouvera The Future Sound of London que sous leur autre pseudonyme, Amorphous Androgynous (jusqu’à ce qu’ils soient enfin publiés par Virgin, à temps pour figurer sur le volume III). Cette sélection parfois étrange, cette limitation aux artistes « maison », font de ce qui devait être un panorama de la musique électronique de l’époque une vision tronquée, assez peu au fait de l’actualité, et semble montrer un label à la traine, peinant à suivre la nouvelle vague et n’ayant à faire valoir que son passé. Il ne faut toutefois pas forcément jeter la pierre à Virgin, et la plupart des médias et des autres labels mainstream se sont montrés à l’époque dépassés, à côté de la plaque, incapables de gérer ce qui se développait sous leurs yeux, de manière autonome et spontanée. La plupart des musiciens de cette scène étaient souvent, dans une tradition héritée de la house et de la techno, produits (ou autoproduits) sur des labels indépendants, dans un circuit possédant sa propre distribution, tournant en marge des scènes classiques. Ils provenaient de plus d’une scène qui se diffusait en disques vinyles, alors que les majors, de leur côté, venaient de déclarer la fin du support, et passaient exclusivement au compact-disc. Tous ces facteurs expliquent l’étrange vision de l’ambient défendue par les trois premiers volumes de cette série.
Les choses changent énormément avec les trois volumes suivants, qui ont été réalisés par Kevin Martin. Celui-ci, après sa carrière au sein de Godflesh, s’était illustré avec des groupes mêlant musique électronique, hip-hop, techno et dub, comme Techno-Animal et Ice. Son travail au sein de toutes ces formations hybrides le firent choisir par Virgin pour être le curateur de deux des anthologies de la série Ambient ; l’une intitulée Ambient 4 : Isolationism, s’attachait à la scène dark ambient et expérimentale ; l’autre, Macro-Dub Infection, en deux volumes, établissait des ponts entre la scène électronique et la scène dub anglaise. Là où les précédentes anthologies se cantonnaient à des généralités, des pièces assez accessibles, Kevin Martin au contraire explorait ici l’obscurité, dans tous les sens du terme. Isolationism, comme son nom l’indique, était loin de l’ambient populaire, de la musique complaisante. Elle explorait ce qu’on appellera plus tard le dark ambient, la face plus expérimentale, plus pesante et plus sombre de l’ambient. De Thomas Köner à Aphex Twin, en passant par Scorn, c’est toute une scène underground qui était mise en avant, de manière beaucoup plus cohérente qu’auparavant malgré la diversité des artistes et des genres abordés. Macro-Dub Infection était tout aussi aventureux, et tout aussi pertinent. Kevin Martin y exposait le lien, alors assez peu exposé ou raconté, entre la musique électronique et le dub. En prenant l’exemple de la jungle, du trip hop mais aussi de l’ambient, et en les rapprochant d’exemples de la scène dub et reggae anglaise, il démontrait clairement la filiation entre toutes ces musiques, et leur dette envers la Jamaïque et sa diaspora.
Après ces six premiers volumes, la série Ambient se lancera dans la publication d’albums originaux (non compilatifs), faisant notamment paraître des disques de Paul Schütze et de Techno-Animal. Ils poursuivront la sortie d’anthologies thématiques, mais feront exploser le cadre de l’ambient avec par exemple Ocean Of Sound en 1996, un disque réalisé par David Toop pour illustrer son livre homonyme, ou Monsters, Robots & Bug Men, une nouvelle compilation de Simon Hopkins consacrée cette fois au post-rock. La série Ambient dans son ensemble est aujourd’hui presque plus intéressante qu’alors, à travers ce qu’elle révèle de l’évolution de la musique et de la manière de la présenter et de la promouvoir, de l’expliquer et de la diffuser.

Benoit Deuxant

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