QUAND AURONT FONDU LES BANQUISES

Il existe un mystère Leprest. Il est l'un des plus grands auteurs de la chanson, salué comme un géant par ses pairs - une quinzaine d'interprètes, d'Olivia Ruiz à Sanseverino, l'ont chanté l'an passé -, mais il reste obstinément méconnu du grand public. L'homme n'a rien contre : il cultive ses marges et sa vie pas cadrée. Il serait temps, pourtant, qu'il sorte enfin de l'ombre médiatique pour que sa poésie cabossée parvienne au plus grand nombre. Car il est capable de chansons magiques, et même magistrales, d'un lyrisme sans emphase qui insuffle aux mots du quotidien une bouleversante poésie. Le coeur du chanteur semble battre dans chacun de ses vers qui, sous une pudeur absolue, suggèrent les sentiments les plus brûlants. Certes, les arrangements sont parfois un peu lourds et la voix est fatiguée ; elle porte les stigmates de tous les excès et d'une maladie qui faillit l'emporter. Mais comment ne pas la suivre au creux de ses écorchures quand, justement, Leprest chante sa presque mort d'un air enjoué, déclaration d'amour aux vivants (Quand j'étais mort) ? Ou quand il lance un chant superbe de désespoir feutré à la femme envolée, sur fond de cuivres cuivres aussi obsédants que sa peine (Arrose les fleurs) ? Face à une telle force, l'écouter n'est pas forcément aisé, c'est rarement léger mais toujours marquant. Au fait, il vient de recevoir le grand prix Charles Cros pour l'ensemble de son oeuvre. C'est bien le moins.(Valérie Lehoux - Telerama n° 3075- 20 décembre 2008)