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Ahmad Jamal Trio - Chamber music of the new jazz

Une médiagraphie réalisée à l’occasion de la Blackout Session du 10 juin 2025 à l’Atelier 210 (Etterbeek), consacrée à l’album Ahmad Jamal Trio, Chamber music of the new age (1955), en collaboration avec la Bibliothèque Hergé.
Mary Lou William, First Lady In Jazz (1927-1957)
Originaire de Pittsburgh comme Jamal, Mary Lou Williams (1910-1981) a été pionnière pour les pianistes afro-américains en leur ouvrant la voie pour de vraies carrières musicales. On écoute Roll’em, morceau énergique avec une base blues et boogie-woogie, écrit pour l’orchestre de Benny Goodman. Le groove puissant, l’usage du riff et la clarté rythmique sont des caractéristiques que Jamal apprécie, même s’il les traite de manière plus épurée. Mary Lou Williams et Ahmad Jamal partagent un goût certain pour l’économie de moyens et la réinvention du langage jazz sans jamais en trahir les racines. Iels partagent aussi cette connexion intime au blues et à la spiritualité.
Billy Strayhorn, Masters Of Jazz (1939)
Ce serait dommage de passer à côté de Billy Strayhorn, originaire aussi de Pittsburgh, pianiste compositeur-arrangeur, qui a composé de nombreux morceaux pour Duke Ellington dont le fameux Take the A train composé en 1939, devenu la signature de l’orchestre de Duke, au point qu’on a tendance à attribuer le morceau à Duke plutôt qu’à Strayhorn. Les arrangements complexes de ses morceaux continuent d’inspirer des générations de musiciens.
Earl Hines, 1949-1952
Earl Hines aura une grande influence sur Jamal, en tant que pionnier du "trumpet-style piano", utilisant des phrases claires, très articulées, comme des lignes de cuivres. Celui-ci a aussi exploré très tôt les libertés rythmiques et harmoniques que Jamal développera plus tard à sa manière. Dans le morceau You can depend on me, Hines joue avec le temps, les dynamiques, les pauses. Il construit et déconstruit la mélodie avec une aisance narrative, il anticipe ou retarde les temps et place les silences comme un chanteur, approche que Jamal développera en allant encore plus loin dans le dépouillement et l’architecture.
Maurice Ravel, Concerto Piano En Sol
Ahmad Jamal qui aimait tant Ravel n’aurait pu ignorer ce magnifique Adagio de ce concerto, chef d’œuvre de sobriété, de lyrisme retenu … On peut aisément imaginer que ce genre d’œuvre délicate de Ravel a dû toucher Jamal, qui ne cache pas d’ailleurs que ce compositeur l’a très fort inspiré.
Erroll Garner, Concert By The Sea (1954-1963)
Dans cet album emblématique de Garner (né à Pittsburgh), on découvre une spontanéité, une interaction avec le public, un sens aigu de la dynamique et du drame musical, et surtout la conception orchestrale du trio — des éléments qu’on retrouve aussi chez Jamal. On remarquera l’utilisation orchestrale du piano et un sens du phrasé exceptionnel dans Autumn leaves, ou Misty, ce standard composé par Garner en 1954, qui montre sa capacité à jouer avec les attentes harmoniques et rythmiques tout en restant dans une veine très lyrique, qui font penser à Jamal, dans ses ballades raffinées et mesurées.
Duke Ellington, The Capitol Sessions (1953-1955)
Ecoutons Kinda Dukish, jouant sur les silences, les espaces, les riffs répétés, avec un goût pour un piano « complet » (faire rendre le son à toutes les parties du clavier) qui a forcément eu une influence sur Jamal ; ou Cottontail, autre morceau de Duke, merveille d’orchestration selon Jamal.
Art Tatum, The Complete Trio Sessions, vol.1 (1944)
Ce trio, avec Tiny Grimes à la guitare et Slam Stewart à la contrebasse, est original dans le sens où il n’y a pas de batterie, ce qui préfigure peut-être le trio sans batterie d’Ahmad Jamal à ses débuts (notamment avec Israel Crosby et Ray Crawford). Le jeu de contrebasse mélodique de Slam Stewart et l’approche très libre de la guitare permettaient à Tatum d’explorer l’harmonie et le rythme sans contrainte. Cela a pu inspirer la souplesse rythmique et la liberté d’accompagnement que Jamal exploite dans ses trios.
Clifford Brown, Study In Brown (1955)
Sorti la même année que l’album phare de cette sélection et très différent, cet album était emblématique du hard bop, mêlant virtuosité technique, groove soutenu et influences blues et gospel. Typique du genre, il combine la rigueur du bebop avec une chaleur plus expressive. Les compositions comme Sandu illustrent des thèmes accrocheurs suivis de solos dynamiques. L'interaction entre les musiciens, notamment Brown et Roach, incarne l’esprit collectif et énergique du hard bop, ancré dans une tradition afro-américaine affirmée.
Ahmad Jamal, Chamber Music Of The New Jazz (1955)
Sorti d’abord avec le titre « Ahmad Jamal plays », en 1955, c’est son premier disque en tant que leader, où il pose les bases de son style minimaliste et raffiné, en contraste avec le style d’époque, le bebop et même déjà le hard bop. Ce trio sans batterie –formation déjà entendue chez Art Tatum- donne un son unique, avec une prédominance du registre aigu joué délicatement, très rythmé, dans un swing aéré, où le guitariste Ray Crawford imite un effet de bongo. On y retrouve des traits de ses maîtres originaires de Pittsburgh comme lui (les brisures rythmiques et le relief d’Earl Hines, l’inventivité de Mary Lou Williams, le côté rhapsodique, mise en scène, swing et conception orchestrale du trio d’Erroll Garner, …).
Ahmad Jamal, At The Pershing / But Not For Me (1958)
Premier album avec le batteur Vernel Fournier et toujours Israel Crosby à la contrebasse (désormais son trio stable et historique jusque 1962), avec une version légendaire de Poinciana, chef-d’œuvre de subtilité rythmique avec une vision orchestrale révolutionnaire qui le fait devenir une star sur son label Chess, au même titre que Chuck Berry et Muddy Waters. Ce morceau a eu tellement de succès qu’il est sorti en 45 Tours, ce qui est exceptionnel pour un titre purement instrumental. Cela lui a donné l’opportunité de posséder son propre club, The Alhambra, et de créer sa propre marque de disques. Sa version de Billy Boy a inspiré de nombreux pianistes également.
Miles Davis admirait cet album pour son « lean style », l’espace, les silences, la beauté simple, qui vont devenir aussi des caractéristiques d’albums mythiques de Miles.
Ahmad Jamal, Ahmad's Blues (1958)
Ahmad's Blues, enregistrement live au Spotlight Club, est un album important d'Ahmad Jamal car il illustre parfaitement son art du trio, sa finesse rythmique et son sens unique de l'espace. Les standards sont sublimés avec élégance, notamment grâce à l’interaction subtile entre piano, contrebasse et batterie. Ce disque marque un tournant dans sa carrière, imposant son style minimaliste et influençant des géants comme Miles Davis. Un chef-d'œuvre de sobriété et de raffinement.
Ahmad Jamal, Live At The Blackhawk (1962)
Plus intense encore que les albums précédents, Jamal y est plus expansif, tout en conservant ses silences caractéristiques. Le trio est ici plus énergique, mais toujours précis. Un témoignage vibrant de son évolution post-Pershing. La formation fétiche d’Ahmad bouillonne de créativité et de rigueur, d’arrangements efficaces, de haute couture, très groovy. L’économie de moyens, le travail d’orfèvre sur les groove, la recherche de sonorités empruntées aux percussions, tout cela aura un impact sur Miles Davis.
Ahmad Jamal, The Awakening (1970)
Cet album au son percussif symbolise sa renaissance après une longue période de crise qui débute en 1962 (divorce, déménagement, son travail de producteur trop accaparant, …). La grande sophistication des arrangements pour le trio confère à l'ensemble cohérence et spiritualité. Tandis que les années 1970 voient le jazz se tourner vers la fusion, lui revient aux sources avec un album sobre et acoustique, qui ne manque pas de toucher certains musiciens de hip hop comme Nas (sample de I love music pour The world is yours) et Common (Dolphin Dance pour Resurrection).
Ahmad Jamal, Rossiter Road (1986)
Album studio au swing élégant : son bassiste est désormais James Camack et le restera jusqu’à la fin de sa carrière, le travail rythmique est enrichi par la présence du percussionniste Manolo Badrena, en plus du batteur. Jamal poursuit ici sa recherche d’équilibre entre classicisme et modernité. Le morceau éponyme du titre de l’album est emblématique : mélodique, rythmé, limpide. Son jeu reste d’une clarté exemplaire.
Ahmad Jamal, The Essence, Part I (1994-5)
De la fin des années 1990 à son décès, Ahmad Jamal semble s'être apaisé. Tout en demeurant très actif sur la scène jazz, il a stabilisé son trio, composé du bassiste James Camack et du batteur Idris Muhammad. Ce disque sur le label Birdology marque son retour en force avec un son plus moderne, adepte de grands effets de contrastes dynamiques (notamment avec le morceau éponyme) et des compositions introspectives. On écoute avec délectation son interprétation d’Autumn leaves, où le motif de basse identifie cette version, et la matrice harmonique identifie le morceau. Malgré cette modernité, c’est toujours le « trio orchestre » qui domine, dans toute sa splendeur audacieuse.
Ahmad Jamal, Blue Moon (2011)
L’un des albums les plus aboutis de son dernier cycle, mêlant standards et compositions personnelles avec des morceaux très longs, très écrits. Rythme frappé sec à la batterie et lyrisme à la Garner ; univers complexe, souvent funky-latino, avec un Jamal percutant et comme tout au long de sa carrière musicale, il jongle entre volubilité, spiritualité, romantisme et spatialité. Chacun des neuf morceaux est un hommage aux grands espaces, une réinvention du swing, un prétexte à la mélodie, un appel vers des syncopes rythmiques. Entouré de trois gardiens du tempo hors pair, Reginald Veal à la contrebasse, Herlin Riley à la batterie et Manolo Badrena aux percussions, on a un Jamal plus directif que jamais, forgeant un son de quartet magnifiquement soudé, avec une rythmique aérienne, lancinante.
Ahmad Jamal, Marseille (2016)
Hommage à la France où il réside désormais, avec des textes récités et chantés, preuve de son ouverture constante à d’autres formes musicales. Le texte d’ouverture a été traduit par Mina Agossi, et sert de base à un slam d’Abd al Malik, qu’il admire énormément. Une fois de plus il glisse sa version très personnelle d’Autumn leaves, hommage à la France par son symbole : la ligne de basse jouée d’abord à la main gauche au piano, jouée ensuite à l’unisson avec le contrebassiste donne le groove au morceau. La très grande complicité organique avec la section rythmique contribue à l’originalité de l’interprétation, le son du groupe a plus d’importance que sa virtuosité personnelle.
Miles Davis, Workin' With The Miles Davis Quintet (1956)
Cette formation du jeune trompettiste Miles accueille une nouvelle recrue encore méconnue du public, John Coltrane, aux côtés de Paul Chambers, Red Garland, et Philly Joe Jones. L’album inclut Ahmad’s Blues, une composition de Jamal jouée en trio avec Red Garland au piano. Il présente un style proche du jeu de Jamal, avec des espaces et une dynamique contrôlée. « Toute mon inspiration vient d’Ahmad Jamal, le pianiste de Chicago », déclarait Miles Davis en 1958
Julian Cannonball Adderley, Somethin' Else (1958)
Ça aurait presque pu être un album de Miles Davis, lui qui ne joue plus en sideman depuis 1953 : le disque sonne Miles. Celui-ci a d’ailleurs confié à Sam Jones et Hank Jones l’ostinato qu’il a lui-même emprunté à Ahmad Jamal sur le morceau Autumn Leaves, avec cette ligne de basse créée par Israel Crosby dans son 1er trio jazz. Mais que ceci n’efface pas l’importance d’un grand leader saxophoniste du hard bop, Julian « Cannonball » Adderley, qui signe l’album. Celui-ci sera rendu célèbre quelques années plus tard par le tube Mercy, Mercy, Mercy, grâce à son groove et sa mélodie irrésistible.
Une médiagraphie de Médiathèque Nouvelle réalisée par Carla Vandereecken
À l'occasion de la Blackout Session du 10.06.2025 à l'Atelier 210 (Etterbeek) consacré à l'album Chamber Music Of The New Jazz de Ahmad Jamal (1955)