Les Justes
Une sélection d'extraits de films en dialogue avec la pièce de théâtre Les Justes, d'Albert Camus, au théâtre Jean Vilar jusqu'au 2 octobre
Z
Z (Costa-Gavras, 1968)
Dès les premières secondes, le film annonce l’engagement sans concession de Gavras : “Toute ressemblance avec des événements réels, [...] n'est pas le fait du hasard. Elle est volontaire.”. Bien que transposée dans un pays non nommé pour éviter la censure, l’intrigue s’inspire directement de l’assassinat du député grec Grigóris Lambrákis, tué en 1963 par l’extrême droite avec la complicité de l’armée et de la police. Une enquête judiciaire révèle un complot d’État et les responsables ne sont que partiellement punis.
Cette pièce d’anthologie cinématographique a inspiré une nouvelle génération de cinéastes, de Loach à Soderbergh.
LE CUIRASSE POTEMKINE
Le Cuirassé Potemkine (Serguei Eisenstein, 1925)
Cette oeuvre cinématographique majeure reconstitue la mutinerie des marins russes en 1905, c’est-à-dire la même période que celle où Camus situe l’action des Justes. Mais là où ce dernier dissèque les dilemmes moraux de la terreur (Russie), Eisenstein exalte la puissance du soulèvement collectif (Ukraine) grâce au montage dialectique. Cette technique, qui rassemble des plans opposés pour créer un choc émotionnel, culmine dans le massacre des escaliers d'Odessa : une mère est abattue, et son landau dévale les marches sous le feu des cosaques. Cette séquence mythique résume à elle seule la violence de la répression et la naissance d'une légende révolutionnaire.
LE VENT SE LÈVE
Le vent se lève (The Wind that shakes the Barley, Ken Loach, 2006)
Ce film poignant explore la guerre d’indépendance irlandaise à travers le destin de deux frères. D’abord unis contre l’occupant britannique – violences et humiliations à la clé –, ils finissent par se déchirer lorsque la révolution s’enfonce dans la guerre civile. Loach ne cache rien des dégâts collatéraux de ce conflit : civils massacrés, familles brisées, idéaux trahis. Ces pertes douloureuses, assumées par les personnages comme un prix nécessaire, pèsent sur chaque plan. La scène où un frère doit décider du destin de l’autre montre que la liberté se conquiert au prix de l’humanité même. Jusqu’où peut-on aller pour la justice, sans devenir ce que l’on combat ?
GANDAHAR - LES ANNÉES LUMIÈRE
Gandahar (René Laloux, 1987)
Ce film d’animation de René Laloux aborde la révolte sous un angle atypique. Le récit de science-fiction oppose au monde naturel et harmonieux un univers froid et industriel ; il présente le combat qui se joue entre deux façons de vivre. Ici, contrairement à beaucoup d'histoires de rébellion, les héros ne gagnent pas par la force, mais par l'intelligence et la compréhension. Plutôt que de détruire l’oppresseur, c’est en considérant le point de vue de l’envahisseur qu’ils cherchent une solution. La meilleure façon de mettre fin au conflit, n’est-elle pas celle qui permet d'œuvrer à rétablir une situation d’équilibre?
LA SOURCE DES FEMMES
La Source des femmes (Radu Mihaileanu, 2011)
Face à l’épuisement des corvées d’eau, les femmes d’un village d’Afrique du Nord lancent une grève de l’amour, exigeant des hommes qu’ils les aident à construire une canalisation. Leur combat dépasse la revendication matérielle : il interroge les croyances figées. En s’appuyant sur une interprétation audacieuse du Coran (« l’eau est source de vie »), elles renversent le conservatisme religieux qui justifie leur oppression. Leur révolte réinvente la tradition : ni rejet de la foi, ni soumission aveugle, mais une réappropriation spirituelle qui unit émancipation des femmes et justice divine.
ANNIE COLÈRE
Avec beaucoup de justesse historique, Blandine Lenoir plonge le spectateur dans le combat du Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception dans les années 1970. Plus qu’une simple reconstitution historique, le film offre une immersion très convaincante dans l’urgence de l’époque. Il célèbre la sororité de ces femmes, issues de tous les milieux, mais unies par un même combat clandestin. Au-delà de l’accompagnement pour l’avortement, le film montre un militantisme du quotidien : de quelles façons les consciences peuvent se propager, comment transmettre un ressenti aux hommes, comment former des médecins… Un film nécessaire.
FAHRENHEIT 9/11
Fahrenheit 9-11 (Michel Moore, 2004)
Dans ce véritable coup de poing documentaire, Moore analyse la réaction de l'administration Bush aux attentats du 11 septembre, exposant les connexions troubles entre l'invasion de l'Irak, les intérêts pétroliers et la construction médiatique du consentement. Fruit d’une investigation minutieuse et d’un style narratif percutant, cet objet culte bouleverse le format traditionnel. Couronné par une Palme d'Or à Cannes (fait rare pour un documentaire), il opère par la suite comme un véritable contre-pouvoir médiatique. Moore montre qu’il a redéfini les limites du documentaire politique.
WORKS & PROCESS - FRANCIS ALYS
Wide Details, On the traces of Francis Alys (Julien Devaux, 2008)
Par le biais de performances engagées, Francis Alys transpose ses révoltes en gestes subtils capables d’interroger notre époque et notre société. Différentes interventions dans l’espace public sont représentatives cet artiste plasticien. Pour Re-enactments, il déambule dans les rues de Mexico, arme à la main, jusqu’à son arrestation; cette action met à nu la violence normalisée. Pour Green Line, Alys traverse Jérusalem en tenant un bidon de peinture percé, créant ainsi une ligne de démarcation. Ce documentaire nous éclaire sur les contextes qui inspirent l'œuvre de ce grand artiste, représentant de la Belgique à la Biennale de Venise en 2022.