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La tentation de Saint-Antoine, Jérôme Bosch

Penser le rapport au vivant

Sélection commentée cinéma documentaire et de fiction, dans le cadre du Living Earth Festival

L'équipe de Médiathèque Nouvelle vous recommande quelques films et documents qui entrent en résonance avec son intervention du 9 octobre 2025.
La tentation de Saint-Antoine, Jérôme Bosch

Des documentaires pour penser notre rapport au vivant
«L’animal nous regarde, et nous sommes nus devant lui. Et penser commence peut-être là.» La citation de Derrida (L’animal que donc je suis, 2006) ouvre une brèche dans notre certitude d’êtres séparés. Elle nous confronte à une vulnérabilité partagée et à l’exigence d’un autre rapport au vivant.

Cette série de documentaires nous guide précisément sur ces lignes de crête, le long des frontières incertaines où l’humain et le non-humain se rencontrent, se répondent, et co-composent le monde. Ces films interrogent le langage qui isole, les outils qui filtrent, et les récits qui essentialisent. Loin de toute velléité de domination, ils proposent d’envisager la cohabitation, d’apprendre à écouter et de composer avec une multitude d’existants. Des forêts mystiques de Yakushima aux friches renaissantes, du brame de l’élan à la dignité bovine, émerge une même invitation : renouer avec le tissu d’interdépendances, faire droit à l’incertitude et cultiver une attention patiente.

Ainsi, le cinéma se fait lui-même milieu — un espace de reliance (qu’Edgar Morin oppose à la pensée compartimentée) où le regard est déjà un pacte. Chaque plan, chaque silence, dénoue nos évidences et nous rend sensibles à ce qui détale dans les fourrés à notre passage.

BECOMING ANIMAL

Peter METTLER
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Documentaires
BECOMING ANIMAL de Peter METTLER

« Tant de choses s’éveillent la nuit. » On ne voit pas grand-chose, le brame des élans emplit tout l’espace : des plaintes harmoniques qui s’élèvent jusque dans les aigus suivis de grognements caverneux. Des sommets aux profondeurs, le film invite à élargir les spectres de nos relations au vivant, dans l’invisible et l’indiscernable, notamment à travers la question du langage. En nommant, le mot désigne, mais il éloigne aussi. Ainsi en est-il du mot « nature ». L’enjeu est de passer à la notion d’interaction, de réciprocité. Je touche un arbre, mais il me touche aussi. Comment le film peut-il faire partie de ce réseau ? Alors que la réalisatrice interroge avec poésie, et en compagnie du philosophe David Abram, les moyens et les outils par lesquels nous regardons et définissons nos environnements et ce qui les peuple (langage, écriture, outils technologiques), elle déclare : « Mon corps est comme un circuit ouvert qui n’est complet qu’avec les êtres sur lesquels je pose mon regard. Je vis ma propre cohérence quand il y a interaction avec les autres. »

DONNA HARAWAY: STORY TELLING FOR EARTHLY SURVIVAL

Fabrizio TERRANOVA
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Documentaires
DONNA HARAWAY: STORY TELLING FOR EARTHLY SURVIVAL de Fabrizio TERRANOVA

Donna Haraway, philosophe, primatologue et féministe, a bousculé les sciences sociales et la philosophie contemporaine en tissant des liens sinueux entre théorie et fiction. Elle s’est fait connaître dans les années 1980 par un travail sur l’identité en travaillant sur la question du genre, de la nature et des sciences dans leurs implications quotidiennes et entremêlées. Le réalisateur belge l’a rencontrée chez elle en Californie et a placé dans le cadre des objets étranges qui se superposent au discours. À partir de discussions sur ses recherches et sa pensée foisonnante, il a construit un portrait cinématographique singulier. Le film tente de déceler une pensée en mouvement, mêlant récits, images d’archives et fabulation. Ici, tout objet est porteur d’histoires qui s’entremêlent jusqu’à former des nœuds, d’où le recours au jeu de la ficelle en tant que modèle de pensée.

BRUXELLES SAUVAGE. FAUNE CAPITALE

Bernard CRUTZEN
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Documentaires
BRUXELLES SAUVAGE. FAUNE CAPITALE de Bernard CRUTZEN

Entre la ville et la « nature », où placer la frontière ? Qui est le plus surpris ? L’homme qui surprend le renard traversant la route ou le renard qui croise le regard du cameraman ? Un documentaire sur la présence du renard à Bruxelles et d’autres espèces sauvages (écureuil, faucon, carpeau, chauve-souris, sanglier, etc.), des animaux qu’on ne voit pas quand on marche le nez par terre. Une présence qui peut être jugée incongrue par certain·es alors que, pour d’autres, elle est une source de curiosité, une opportunité de rencontre. Le film pose les questions des frontières de la ville et de la nature. Lucienne Strivay explique : « Certains individus ont décidé où placer la limite avec la ville et la maison. Cette limite ne convient pas aux animaux. D’une certaine manière, ils nous invitent à apprendre le vivre ensemble. »

JUSTE DANS LA VILLE...

Fabien MAZZOCCO
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Documentaires
JUSTE DANS LA VILLE... de Fabien MAZZOCCO

Ce film est une invitation à observer les peurs que peut éveiller la « nature ». Au début, cela commence par une idylle. On glisse sur l’eau comme dans un rêve : « Mon cœur bat, mes yeux sont ouverts. » Nous sommes dans un îlot de verdure au milieu de l’urbanisation grignotante. Pourquoi donc cherchons-nous autant à maîtriser la nature ? « Est-ce par peur du griffu, du tordu, de ce qui se développe sans nous ? ». La question concerne tout d’abord certains objets de nature : « accepter le bois mort, c’est accepter la présence de la mort », puis invite à regarder en soi : « Il y a, au cœur de nos artifices, un bout de nature qui vit. » Une question qui concerne nos paysages et nos intériorités. Le film cite François Terrasson : « Les sociétés qui détruisent ma nature ne sont-elles pas également des sociétés de répression émotives ? ». (Le film propose une version courte : Vous avez dit sauvage ?)

BESTIAIRE

Denis CÔTÉ
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Documentaires
BESTIAIRE de Denis CÔTÉ

Des images de vie dans un parc zoologique pendant huit jours sur trois saisons. Des images sans commentaire qui ne forment pas un discours sur la captivité ou sur l’animal, mais un film à s’approprier pour en tirer du sens. Le réalisateur explique que « la plupart des gens projettent tellement d’intentions dans le film, pensent qu’on a voulu, encore une fois, ramener ça à nous, les humains. Qu’avons-nous fait aux animaux ? Alors qu’au départ, il y avait un désir purement esthétique d’aller faire du cinéma ». Le film est conçu comme une expérience image/son/montage très libre, dans lequel Denis Côté enregistre ce qu’il voit : ses habitant·es (des animaux filmés de face, de profil ou par fragments : cornes, pattes, toisons, etc.), des employé·es et des visiteur·euses. Un lieu « fermé » pour un film « ouvert » qui invite à une plongée contemplative sur l’animalité.

LES ALTANS

Etienne CHAILLOU
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Documentaires
LES ALTANS de Etienne CHAILLOU

Pendant plusieurs mois, une équipe a suivi le tournage du film animalier La Vie sauvage des animaux domestiques. L’intention n’était pas de dévoiler les coulisses au sens technique du terme, mais plutôt la trame ontologique qui fonde le regard sur les animaux. Tout regard est une construction, ici doublement : le regard du film dans son élaboration (un dessin animé sert de fil rouge à la réflexion) et celui porté sur ce qui « vit » : les Altans. Qu’ont en commun ces Altans, sinon de ne pas être des humain·es (grande diversité de formes, de langages et de perceptions du monde ? Si l’humain·e décide de ce qu’ils sont, « parfois, souvent, toujours, de l’enclos de nos idées, les Altans se dérobent ». En complément du film, pour approfondir ces questions, se trouvent interview de Vinciane Despret, philosophe, et le film d’animation Umwelt, écrit avec Vinciane Despret et Vincent Gaullier.

ANIMAL

Cyril DION
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Documentaires
ANIMAL de Cyril DION

Vipulan, un élève français studieux et plutôt urbain, témoigne de sa volonté de comprendre, et Bella, une Anglaise touchée par le sort des animaux sauvages, audacieuse et un brin misanthrope, raconte son amour pour la nature. Une approche rationnelle et une approche sensible cheminent ensemble. Si il et elle sont très préoccupé·es par les dégradations environnementales, leur rapport à la nature reste un rapport d’extériorité. C’est cette posture qui est au cœur du film et qui est, pas à pas, subtilement mise à jour pour inviter à une autre vision du monde : un monde fait d’alliances sensibles avec le vivant, tel que le décrit Baptiste Morizot, l’un des invités du film. Si le procédé est le même que dans Demain (une série de rencontres avec des experts, des acteurs politiques, des penseurs ou des porteurs d’initiatives via l’intercession de personnages dont on suit l’évolution), le propos s’écarte toutefois de la volonté de trouver des solutions et engage une réflexion plus profonde sur notre manière d’habiter le monde. Il ne s’agit pas ici de trouver des solutions à reproduire, ce qui pouvait être l’attente des jeunes et qui a été celle du réalisateur dans le passé, comme il le confie dans le film. « On ne trouve pas facilement de solutions à reproduire. Il faut collaborer autrement avec le vivant et on ne sait pas encore comment. »

VEDETTE

Claudine BORIES
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Documentaires
VEDETTE de Claudine BORIES

Vedette est une vache. Elle est une reine. Mais elle a vieilli. Pour lui éviter l'humiliation d'être détrônée par de jeunes rivales, la vache est confiée à des gardiennes, deux voisines dans un petit hameau des Alpes valaisannes. Le film suit l’évolution de cette relation au fil de l'été. Les femmes apprennent à entrer en relation avec cet individu unique. Parmi les questions posées, celle d’un langage à inventer, communiquer. « C’est quoi les mots que tu comprends ? »

UN HOMME DANS LA FRICHE

Jean REUSSER
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Documentaires
UN HOMME DANS LA FRICHE de Jean REUSSER

En chemin vers un arbre remarquable, un cinéaste est saisi par le spectacle d’un terrain vague, « par cette incroyable harmonie de couleurs et de formes ». Il décide d’en faire un film. Le documentaire rapporte les réflexions et partage l’intention du cinéaste alors qu’il réalise le film Terrain vague. Pendant un an, il vient chaque jour enregistrer des paysages de ciel et de friche, de gros plans de fleurs et d’insectes, le silence et la cacophonie des activités humaines toutes proches. Son premier regard en arrivant est à chaque fois dirigé vers le ciel. Les nuages font partie de ce paysage. Puis, il filme « ce qui vient ». Parfois, rien ne se passe, alors il revient le lendemain : « Le film m’aura appris à aller de l’avant ». Il explique ne pas avoir cherché à nommer de manière systématique ce qu’il voyait pour ne pas se limiter à identifier et bien rester dans le « voir ». « Il faut apprendre à voir » la vie dans ce monde qu’il décrit comme un dialogue entre monde de la nature et monde humain. Laissant de la place à l’invisible. « Dans le film, ce qui est important, c’est tout ce qu’on ne voit pas, comme la révolution de la Terre autour du soleil », qui conditionne les saisons par exemple.

MILIEU

Damien FAURE
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Documentaires
MILIEU de Damien FAURE

Un film magnifique qui permet de se promener dans la montagne japonaise sur l’île de Yakushima. Une île battue par les vents, plongée dans une brume qui protège les mystères d’une relation forte et spirituelle à la « nature ». Le voyage se fait en compagnie d’un entomologiste passionné de papillons, qui nous guide entre les arbres centenaires et les divinités, au cœur d’une cohabitation subtile et ritualisée entre les habitant·es de la montagne. Les croyances, bien qu’ancestrales, évoluent et s’adaptent aux nouveaux besoins. Un miroir, des statues de pierre aident désormais à donner une forme à ce en quoi il faut croire. « La croyance (en la nature) a pour objet quelque chose qui n’a pas de forme. Les gens d’autrefois avaient la force de croire à ces objets sans forme. » Mais aujourd’hui, il faut guider le regard. Tandis que le vent s’intensifie à l’approche d’un typhon, une voix aide à comprendre cette expérience de la « nature », celle du philosophe et géographe Augustin Berque. Il explique notamment que, ce qu’il faut cultiver, c’est cette articulation entre une perception individuelle et une perception construite par la société marquée par l’apparition du concept d’un milieu extérieur à l’homme. Depuis lors, la nature transformée en objet l’est aussi en termes d’objet universel qui se présenterait de la même manière à tous, alors que l’expérience de nature reste profondément individualisée.

Des films de fiction qui interrogent notre rapport au vivant
Lors de sa conférence-conversation 'A-nature et Pop Culture', Estelle Spoto explore, à travers des extraits de films, les liens entre humains et non-humains dans la pop culture. En s’appuyant sur la pensée de l’anthropologue Philippe Descola et son ouvrage de référence Par-delà nature et culture, elle montre comment, de Matrix à Miyazaki, certaines œuvres réinventent ou ravivent des visions animistes du monde. Une approche à la fois universitaire et grand public, mêlant analyse, récit et images emblématiques.

retrouvez ici les extraits de films qui illustrent son intervention:

Publié le par Pierre-Philippe Hofmann

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